Une « taxe anti-rap » pour financer le Centre national de la musique ?

Depuis le mois de juin, la possibilité d’introduire une taxe sur le streaming musical a fait son chemin au sein de la filière après avoir été évoquée au Sénat par la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak. Passée largement inaperçue auprès du grand public, cette mesure permettrait selon ses soutiens d’assurer le financement du Centre national de la musique… Mais fait transparaitre l’ombre d’une taxe anti-rap.

Cette taxe, qui se répercuterait sur les redevances des producteurs et artistes, risque de faire du registre rap encore fortement dépendant des revenus générés par les plateformes de streaming audio un sur-contributeur du CNM au profit de registres aux modèles économiques plus équilibrés.

Le rap reste en effet l’un des registres les moins représentés dans les demandes de subventions, mais aussi dans les instances définissant les conditions d’attribution de ces subventions. Les artistes et professionnels issus du rap sont notamment absents des trois instances qui constituent le CNM, contrairement à d’autres registres tels que la musique classique, le rock et la variété française.

Décryptage d’une proposition qui, sous couvert d’une apparence technique peu propice à sa compréhension par le grand public, s’approche fortement d’une taxe anti-rap

Au cœur du débat, le financement du CNM

Lancé en 2019 avec la volonté d’en faire un équivalent pour la musique du très puissant Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) pour l’audiovisuel, le Centre national de la musique (CNM) regroupe de nombreux acteurs en son sein, notamment le Fonds pour la Création Musicale qui subventionne jusqu’à 6 000€ la réalisation de vidéos, tournées, festivals, concerts ou encore de disques.

Durant la pandémie Covid-19, il se voit accorder par l’État des fonds exceptionnels, largement supérieurs à sa capacité de financement.

À compter du 18 mars 2020, le CNM met en place deux Fonds de secours visant à soutenir les TPE/PME les plus touchées. À l’automne 2020, ils sont remplacés par un Fonds de Sauvegarde et un Fonds de compensation des pertes de billetterie.

Au premier semestre 2022, le CNM a ainsi déjà dépensé plus 120 millions d’euros, dont 75 millions d’euros au titre de ces dispositifs, qui s’avèrent particulièrement coûteux… Soit le double de son budget annuel.

Pour se sortir de ce dilemme, le CNM est donc à la recherche de nouvelles sources de financement. Le 29 juin dernier, la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, proposait lors de son audition au Sénat d’explorer deux pistes : l’aménagement de taxes existantes et une taxe sur le streaming. Introduite sans trop de remous dans le débat, cette mesure pourrait pourtant être qualifiée de taxe anti-rap au vu de ses effets…

Derrière la taxe sur le streaming, une taxe-anti-rap ?

Dans un contexte où aucune des principales plateformes de streaming audio du marché français (notamment le duo de tête constitué de Spotify et Deezer) n’a atteint la rentabilité, la mise en place d’une taxe de 1,5% sur les revenus du streaming musical en France pourrait se répercuter de deux manières : sur les consommateurs, par une hausse du prix des abonnements, ou sur les producteurs et artistes, par une baisse des redevances versées pour l’exploitation de leur catalogue.

Dans un article du 27 septembre, Les Échos indiquent néanmoins que les plateformes « incluent dans leurs contrats une clause répercutant toute nouvelle taxe sur les redevances versées par les labels ».

Mathématiquement, l’impact d’une taxe sur le streaming se ferait donc particulièrement ressentir pour les producteurs et artistes des registres musicaux les plus consommés en streaming, en tête desquels le rap français.

En effet, depuis le premier semestre 2020, le streaming représente plus de 87% de la consommation des albums de rap au Top 200 France. Malgré les récents succès du genre dans les classements musicaux, de nombreux artistes rap peinent à sortir d’une mono-économie très dépendante des revenus générés par l’exploitation de leur musique sur les plateformes de streaming audio et vidéo.

En physique, moins d’un quart des albums les plus vendus en 2022 sont des titres de rap français ; une large part de ces ventes ont été réalisées sur des stores D2C, le rap demeurant largement minoritaire dans les mises en rayon des grandes surfaces alimentaires et spécialisées.

De la même manière, la part de marché du rap n’a jamais dépassé 12% des diffusions radio et 19,7% des diffusions TV entre 2005 et 2020 selon les données de Yacast.

Pourtant, le rap est, avec la variété française, l’un des deux registres contribuant le plus à la part des productions françaises dans les classements : en 2020, 85% des titres urbains au Top 200 Albums étaient des productions françaises, contre 20% pour le rock, 55% pour la pop et 60% pour l’électro/dance.

Le rap, grand absent des instances du CNM

À l’inverse, le registre rap est de manière systématique l’un des moins représentés dans les demandes de subventions à la production musicale et audiovisuelle. En 2018, à peine 107 des 1 046 subventions accordées par la SPPF concernaient ainsi un projet de rap francophone.

Parmi les causes de ce phénomène : une inégalité d’accès à l’information liée aux subventions, une incompréhension sur leur nature, une déformation de la notion d’indépendance… Mais aussi une absence généralisée d’artistes et de professionnels issus du rap dans les instances définissant les critères d’accès aux subventions.

Le rap qui deviendrait au travers de la taxe sur le streaming le registre contribuant le plus largement au financement du CNM est complètement absent des trois instances qui constituent ce dernier : la Présidence, le Conseil d’Administration et le Conseil Professionnel.

Dans le même temps, le Président du CNM Jean-Philippe Thiellay ainsi que 5 membres du Conseil d’Administration sont issus du milieu professionnel des théâtres, de l’opéra et de la musique classique. D’autres membres du Conseil d’Administration, en nombre plus réduit, sont issus des milieux de l’art contemporain et des musées, de l’édition littéraire, ou encore du rock et de la chanson française.

Ces éléments questionnent les objectifs réels de la taxe sur le streaming, qu’on pourrait qualifier de véritable taxe anti-rap au vu de ses effets. En effet, elle reviendrait en pratique à faire du registre rap le sur-contributeur d’un système de subventions dont il est sous-bénéficiaire, au profit de registres aux modèles économiques moins dépendants du streaming et mieux représentés dans les instances.

Quelles solutions pour le financement du CNM ?

En dépit de sa croissance au cours des dernières années, le modèle du streaming audio reste fragile, d’autant plus dans un contexte de récession. En juin 2022, un rapport de Kantar indiquait ainsi que plus d’un million d’abonnements aux services de streaming musicaux avaient été annulés au Royaume-Uni au premier trimestre, principalement pour réaliser des économies.

Ce phénomène touche tout particulièrement les auditeurs de moins de 35 ans, première cible du registre rap, avec 600 000 abonnements de moins au premier semestre 2022 qu’un an auparavant.

Sur la même temporalité que les plateformes de streaming audio, les réseaux sociaux reposant sur la vidéo tels qu’Instagram, TikTok ou encore YouTube ont connu une croissance exponentielle tout en limitant fortement la part de leurs revenus allouée à l’industrie musicale.

L’exemple le plus frappant est probablement celui de TikTok : sur les 4 milliards de dollars de chiffres d’affaires générés la plateforme en 2021… seuls 160 millions sont allés à l’industrie musicale! Soit à peine plus de 4,5% de son chiffre d’affaire selon l’étude de Music Business Worldwide, et ce malgré la place prépondérante de la musique au sein de l’application.

La solution de se tourner vers ces services, qui représentent plus de 50% de l’écoute de musique en ligne et moins de 10% des revenus de la musique enregistrée, pour assurer le financement du CNM est notamment soutenue par le Syndicat national de la musique enregistrée.

Source : VentesRap.fr