L’entretien du Parisien-Aujourd’hui en France avec l’acteur et coproducteur du film « Tirailleurs », qui sort ce mercredi en salles, a fait réagir le milieu politique, notamment en raison de ses propos sur l’Ukraine. Explications.
Par Yves Jaeglé
Le 2 janvier 2023 à 20h45, modifié le 3 janvier 2023 à 12h00
Mais comment en est-on arrivé là ? Un échange nourri et passionnant avec Omar Sy sur la guerre, de celle que raconte son film « Tirailleurs » sur 1914-1918, dans les salles ce mercredi 4 janvier, à celles d’aujourd’hui. Un entretien très vivant, mais sans le moindre sentiment d’attaquer quiconque ou d’allumer la mèche d’une future polémique. Et voilà que l’acteur se retrouve ce lundi attaqué par des politiques, objet de débats musclés sur des chaînes infos pour quelques phrases sur l’Ukraine sorties de leur contexte. Explications.
Ce vendredi 13 décembre, Omar Sy sort de l’enregistrement de « Vivement dimanche » avec Michel Drucker, et nous rejoint dans une loge du Studio Gabriel (Paris VIIIe) pour parler du film « Tirailleurs ». Il y interprète Bakary, un quadragénaire sénégalais qui décide d’accompagner son fils à peine sorti de l’adolescence et enrôlé de force dans l’armée française pour aller se battre en 1917 dans les tranchées de Verdun. Le Sénégal est alors une colonie française, et l’histoire des tirailleurs est très mal connue, comme le rappelle une phrase dès le générique : 200 000 hommes venus de lointaines colonies pour monter au front dans l’enfer de 1914-1918.
« Oh, les copains ? Je vois ça depuis que je suis petit »
Dans la pièce, juste nous deux, et le chien d’Omar Sy, Tato. Et, bien sûr, un téléphone en mode enregistrement pour ne rien perdre de ses propos et ne pas risquer le contresens. Après des questions sur le film, un projet qu’il porte avec le réalisateur Mathieu Vadepied depuis dix ans, et l’histoire des tirailleurs eux-mêmes, nous décidons d’aborder le thème de la guerre en général, toujours omniprésente un siècle après.
La famille de l’acteur étant aussi d’origine mauritanienne, nous lui parlons des combats qui ont déchiré des régions de ce pays, et lui demandons si la situation du monde aujourd’hui, avec ce qui se passe en Ukraine, ne le décourage pas. C’est à ce moment-là qu’il nous répond que cette guerre n’a pas été « une révélation dingue pour lui », habitué à la violence d’autres conflits guerriers en Afrique, auxquelles il a été confronté depuis son enfance.
Ce qui fait polémique ce lundi nous semble avoir été sorti de son contexte, tant Omar Sy y expose son horreur des atrocités commises sans cesse dans le monde depuis l’époque des tirailleurs, et pas seulement en Ukraine : « Une guerre, c’est l’humanité qui sombre, même quand c’est à l’autre bout du monde. On se rappelle que l’homme est capable d’envahir, d’attaquer des civils, des enfants. On a l’impression qu’il faut attendre l’Ukraine pour s’en rendre compte. Oh, les copains ? Je vois ça depuis que je suis petit. Quand c’est loin, on se dit que là-bas, ce sont des sauvages, nous, on ne fait plus ça. Comme le Covid, au début, on a dit : c’est que les Chinois. »
Un « vous » qui pourrait tout aussi bien être en chacun de nous
Son « oh, les copains ? », qui est tellement sa voix, nous interpelle. L’interview devient presque une discussion. Oui, la règle de proximité fait sans doute que l’on se sent peut-être davantage concerné par un conflit à Kiev qu’au Yémen ou de la guerre autrefois au Sahara occidental. C’est nous qui lui avons cité ce conflit, pas lui.
Il n’y a, à l’évidence, aucune tonalité polémique dans sa réponse. À aucun moment l’acteur ne laisse entendre que l’on parle trop de l’Ukraine. Sinon, nous lui aurions demandé de préciser sa pensée, mais elle est fluide et limpide. La guerre le touche depuis son enfance, où qu’elle surgisse.
« Quand c’est en Afrique, vous êtes moins atteints ? » Cette phrase qui a mis le feu aux poudres ne désigne pas, comme le laissent entendre celles et ceux qui ont nourri cette polémique depuis vingt-quatre heures, la France ou les Français.
C’est une conversation, et ce « vous », ce sont ceux qui se sentent moins concernés quand des enfants sont massacrés par des bombardements à l’autre bout du monde, où qu’ils se trouvent. Il le dit sans aucune virulence. Il ne s’agit que d’un débat, d’un « vous » qui pourrait tout aussi bien être en chacun de nous. Une manière de se décentrer, de réfléchir autrement. Le ton est convaincu mais apaisé, humaniste.
La parole d’un homme sensible aux atrocités
Dimanche soir, quelques heures après la publication de l’interview sur notre site Internet, la députée européenne Nathalie Loiseau et ancienne ministre du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, a lancé la polémique en évoquant « 58 militaires français morts au Sahel en luttant contre les djihadistes », au Mali. Et en ajoutant que les Français se sentent bien « atteints » par la situation en Afrique.
Nous n’avions posé aucune question à Omar Sy sur le Mali ou l’armée française aujourd’hui. Ce n’était pas l’interview d’un politologue ou d’un historien par un journaliste politique, mais d’un acteur engagé dans la reconnaissance des tirailleurs sénégalais à travers un film puissant.
À la fin de l’interview, nous avons même parlé football, très librement, à la veille de la demi-finale de Coupe du monde France-Maroc, qui se déroulait le 14 décembre. Comme toute discussion qui saute d’un sujet à l’autre, elle a dévié sur le PSG, sur les engueulades pour rire d’Omar Sy avec ses copains au sujet de certains joueurs.
Et nous nous sommes quittés, sans avoir le sentiment que des propos pourraient choquer. Faire réfléchir, oui. Ce qui n’est pas du tout la même chose. L’interview, particulièrement dans sa version longue diffusée sur notre site, parle d’elle-même. La parole d’un homme sensible aux atrocités, qu’elles soient commises « en Ukraine ou en Iran », comme il le dit.
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