« Tulsa King » : Stallone, nouveau parrain des séries, vraiment ?

Formidable dans sa première série télé, sur Paramount +, la star cohabite hélas avec un scénario trop sage qui relègue l’ensemble au rang d’agréable divertissement.

Dwight Manfredi, 75 ans, vient de sortir de prison. Surnommé le « Général » par ses anciens collègues mafieux, il a toujours été un capo exemplaire, n’a rien avoué aux policiers en vingt-cinq ans de détention, pas même sa marque de dentifrice, et compte bien reprendre sa place comme si de rien n’était dans la hiérarchie du crime organisé new-yorkais. Problème : ses nouveaux supérieurs hiérarchiques ne l’entendent pas de cette oreille, et l’envoient à Tulsa, dans l’Oklahoma, petite ville au milieu des États-Unis et aussi un peu au milieu de nulle part, avec pour mission d’y bâtir, à partir de zéro, un nouvel empire du crime. Une fois sur place, le « Général » se rend vite compte que la plus grosse difficulté à affronter n’est pas d’ordre géographique : le temps a passé, les mentalités ont changé. Y a-t-il vraiment encore une place en 2023 pour un criminel du XXe siècle ?

Le créateur de Tulsa King, Taylor Sheridan, également à la tête d’un des plus gros succès actuels aux États-Unis, Yellowstone, tient là un point de départ solide. Le potentiel comique né du décalage entre un personnage très « vieux jeu » propulsé dans un environnement totalement inconnu auquel il s’avère radicalement inadapté est un classique de l’humour, au moins depuis Mark Twain et son Yankee à la cour du roi Arthur de 1889. Mais, aux côtés de son compère Terence Winter, auteur vétéran des Soprano et de Boardwalk Empire, il y ajoute un coup de génie : faire jouer le rôle du papy mafieux à Sylvester Stallone lui-même. Lequel est sans aucun doute la plus grande réussite de Tulsa King, le plus grand plaisir du spectateur : pour son premier rôle dans une série télé, il se coule avec un naturel parfait dans la peau du « Général », à la fois bonhomme, inquiétant parfois, expéditif souvent, nimbé d’une troublante aura de fragilité et de puissance mêlées. Le voir se heurter à la réalité du temps et des mœurs – puis s’y adapter – est un plaisir de chaque instant. On ne peut même pas dire, à l’américaine, qu’il « vole le show » puisqu’il est tout à fait évident que, de bout en bout, le show, c’est lui. Et pourtant, malgré cet immense point fort, Tulsa King, en tant que série, ne parvient pas à dépasser le niveau d’un agréable mais anecdotique divertissement.

Clichés et facilités…

Difficulté insigne de la « dramédie » : il faut de la comédie, mais il faut aussi du drame. Il faut rire des personnages, mais il faut également être totalement investi à leurs côtés. Et Tulsa King, hélas, se retrouve trop souvent le gunfight et la punchline entre deux chaises. Peut-être est-ce l’effet secondaire de la présence d’une star comme Stallone dans le rôle principal : si les touches d’humour très « poisson hors de l’eau » qu’apporte son personnage de mafieux boomer sont les bienvenues, elles restent beaucoup trop sages et manquent de folie, de transgression, et peut-être même d’un peu de cruauté pour changer les sourires en rires francs.

Même écueil côté « drame » : le personnage de Dwight Manfredi est un mafieux « idéal », doté d’un compas moral, d’une éthique qui le distingue de la nouvelle génération de ses pairs auquel il est contraint de s’opposer. Rien à voir ici avec Les Soprano, où, même si on ressentait souvent de la compassion et même de l’empathie pour Tony Soprano, on savait bien qu’il était inscrit une fois pour toutes du côté du mal, sans espoir de rédemption : le Manfredi de Stallone n’est même plus un antihéros tant il réussit tout ce qu’il touche et se retrouve érigé pratiquement en exemple, y compris quand il tue (toujours plus méchants que lui).

Tulsa King, une série créée par Taylor Sheridan© Paramount+

… Mais Stallone seigneur de l’écran

Le personnage gagne en sympathie, certes, mais il perd énormément en complexité, et Tulsa King se révèle finalement assez manichéen. Autour de Stallone, c’est partout le même constat : les acteurs sont très bons, mais ils demeurent bien au chaud dans leur zone de confort. Martin Starr, par exemple, est très drôle, mais joue littéralement son Gilfoyle de Silicon Valley. Quant au scénario, il se laisse trop souvent aller à des facilités qui tendent au cliché : peut-on encore décemment, en 2023, caractériser un « méchant » par une scène où il abat de sang-froid un subordonné qui le contredit publiquement ? Idem pour la mise en scène, parfois paresseuse, comme dans cet affrontement final où l’emploi du « In The Air Tonight » de Phil Collins tombe complètement à plat, échouant à faire monter le moindre début d’esquisse de tension.

Un peu trop fade et consensuel malgré une idée de départ ultra-prometteuse, Tulsa King n’en reste pas moins un honorable divertissement. Il rate simplement la marche qui sépare la bonne et sympathique production, dont on ne garde pas vraiment de souvenir malgré le temps passé devant, de l’excellente série que l’on conseillera à tous avec empressement. Quant à Sylvester Stallone, il est et demeure un seigneur de l’écran, petit ou grand, mais y avait-il vraiment quelqu’un pour en douter ?

Le Point.fr

Tulsa King est disponible ICI