“Saint Omer” : Alice Diop interroge la différence..

…dans un film procès sur Fabienne Kabou, condamnée pour infanticide

Après plusieurs documentaires, Alice Diop passe à la fiction en reconstituant l’affaire de cette jeune Sénégalaise qui a tué sa petite fille de 15 mois sur la plage de Berck, dans le nord de la France en 2013.

Lion du Meilleur Premier Film et Grand Prix du Jury à la 79e Mostra de Venise, Saint Omer a aussi reçu le Prix Jean Vigo et a été sélectionné par la France pour concourir à l’Oscar du meilleur film international le 12 mars 2023 à Hollywood. Le film sort mercredi 23 novembre auréolé de lauriers. Après Nous, documentaire sur sa banlieue parisienne, Alice Diop exprime la différence qu’elle ressent en France, à travers le destin d’une infanticide, responsable d’un des pires crimes envisageables.

Sans mobile apparent

Jeune romancière, Rama suit le procès de Laurence Coly à la cour d’assises de Saint-Omer. Accusée d’avoir abandonné sa petite fille de quinze mois sur la plage de Berck (Pas-de-Calais) à marée montante, la prévenue répond aux questions de la juge et des avocats, et voit défiler les témoins et experts à la barre. Au fil des confessions et de ses propos déstabilisants, Rama éprouve des doutes sur ses a priori vis-à-vis de l’accusée.

Après la quête identitaire formulée le long de la ligne B du RER d’Ile-de-France, où elle habite, dans Nous, Alice Diop, aussi d’origine sénégalaise, interroge ses racines à travers un fait divers sordide qui reste encore sans réelle réponse sur les motivations de l’accusée. Etudiante en licence de philosophie à Paris en 2011, Fabienne Kabou justifie son geste par l’envoûtement de quelque marabout qui l’aurait poussée au crime. Elle éduquait parfaitement son enfant jusqu’alors, après un accouchement solitaire clandestin, au sein d’un couple en déliquescence. Mais ce qui l’a poussé à tuer son enfant est sans réponse à ses yeux, et elle espère l’avoir au terme de sa comparution.

Cas d’école

Tout en plans fixes sur les intervenants au procès, et notamment Laurence Coly (Guslagie Malanda) – l’alter ego de Fabienne Kabou -, le film prend une position frontale par rapport à son sujet. Il use d’une forme minimaliste agrémentée de quelques flash-back des plus sobres pour illustrer l’affaire. Alice Diop filme une justice froide confrontée à un récit submergé d’émotion. C’est sans doute pour cette raison que cette froideur observatrice ne laisse place que tardivement à l’émotion, lors des larmes finales de l’accusée. Aussi, le sujet n’est pas le drame, mais le regard que l’on porte sur lui et sur son instigatrice.

A la frontière du documentaire et de la fiction s’échafaude une métaphore de l’autre à partir d’un cas d’école. C’est parce qu’elle se sent regardée différemment des autres, qu’Alice Diop a voulu faire ce film. Elle puise dans l’infanticide une différence extrême pour exposer la sienne. Les actrices, qui dominent la distribution, sont performantes, l’ascèse des plans fixes amplifie l’impact des monologues successifs, et le message passe. Dans sa radicalité et posant plus de questions qu’il apporte de réponses, le film n’aurait sans doute pas déplu à cet autre grand cinéaste de l’épure qu’est Robert Bresson.

L'affiche de "Saint Omer" d'Alice Diop (2022). (LES FILMS DU LOSANGE)
L’affiche de “Saint Omer” d’Alice Diop (2022). (LES FILMS DU LOSANGE)

La fiche

Genre : Drame
Réalisateur : Alice Diop
Acteurs : Kayije Kagame, Guslagie Malanda, Valérie Dréville
Pays : France
Durée : 2h02
Sortie : 23 novembre 2022
Distributeur : Les Films du Losange

Synopsis : Rama, jeune romancière, assiste au procès de Laurence Coly à la cour d’assises de Saint-Omer. Cette dernière est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. Mais au cours du procès, la parole de l’accusée, l’écoute des témoignages font vaciller les certitudes de Rama et interrogent notre jugement.

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